Discover Chad : Littérature (BD / Actualité)

Serait-il prématuré de parler littérature au Tchad, « pays mosaïque » où les deux langues officielles – l’arabe et le français – entrent en concurrence avec les 150 idiomes « maternels » largement plus pratiqués, et où surtout le taux d’analphabétisation reste très élevé (78% de la population dont 89% chez les femmes, selon le chiffre du Gouvernement en 2020) ? Dans un pays qui a été dans la seconde partie du XXe laminé par les guerres fratricides et dans lequel la lecture n’est, évidemment, toujours pas une priorité ? À dire vrai, non, bien que balbutiantes les lettres tchadiennes existent depuis les années 60 et sont portées par des écrivains qui ont à cœur de sauvegarder leur culture et de dénoncer parfois ce à quoi ils ont assisté ou ce qu’ils ont subi. La création de la maison d’éditions Sao en 2000 est un signal fort, qui aidera peut-être la nouvelle génération, très dynamique, à se faire entendre entre les frontières de son pays.

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Les prémices

L’année 1962 fut doublement importante pour la littérature tchadienne d’expression française puisqu’elle vit émerger deux textes qui s’inscrivaient dans la lignée de la tradition orale mais marquaient cependant un tournant décisif. Le premier était une pièce de théâtre, La Dot, écrite par Palou Bebnoné, animateur culturel et professeur de lycée qui la présenta au Concours Théâtral Interafricain (CTI) organisé par la RFI. Il récidiva trois ans plus tard avec Kaltouma, sans que ces deux œuvres ne soient éditées contrairement à la troisième, Mbang-Gaourang, publiée par la DAEC coopération en 1974. Le second texte notoire est un ensemble de quatorze contes et légendes qui, par contre, fut sans cesse réimprimé et demeure aujourd’hui au catalogue des éditions Présence africaine. Ce recueil, Au Tchad sous les étoiles, était né du travail de collecte de Joseph Brahim Seid (1927-1980) – futur Ministre de la Justice – qui voulait ainsi assurer la transmission de sa culture aux générations à venir. Ce passage significatif de l’oralité à l’écriture ne déboucha malheureusement pas sur une production rapide et abondante, les guerres civiles qui ne cessèrent d’agiter le pays dès 1972 enrayant le processus. Pour autant, et sans qu’il n’y ait paradoxe, c’est bien l’Histoire, avec une majuscule, qui se révéla terreau fertile – bien que souvent acide – dont s’inspira la première génération d’écrivains. Ainsi, Antoine Bangui-Rombaye, né en 1933 à Bodo, fit sensation en 1980 avec le récit de son emprisonnement entre 1972 et 1975. Prisonnier de Tombalbaye est introuvable désormais, tout autant que le roman Les Ombres de Koh qu’il publia en 1983. Par contre, son troisième ouvrage – Tchad : élections sous contrôle (1996-1997) – est toujours disponible chez L’Harmattan, pour celles et ceux qui s’intéresseront au parcours de cet homme qui resta malgré tout dans l’arène politique et se présenta même à l’élection présidentielle en 1996.

Dans cette même veine autobiographique et chez le même éditeur, Tribulation d’un jeune Tchadien de Michel N’Gangbet Kosnaye (1938-1993) évoque l’enfance de l’auteur dans un pays alors colonisé, puis son militantisme pour l’indépendance à son arrivée en France. C’est une autre jeunesse que décrit Khayar Oumar Defallah, de six ans son cadet, dans Fils de nomade : les mémoires du dromadaire (L’Harmattan), un titre qui ne fera pas oublier qu’au Tchad le désert est omniprésent. Zakaria Fadoul Khidir (1946-2019) se placera pour sa part à l’intersection entre le récit de vie et l’ethnologie : dans Les Moments difficiles : dans les prisons d’Hissène Habré en 1989 (Sépia) il fera part de son vécu et de celui de ses frères, décédés alors qu’ils étaient prisonniers, alors que dans Anthropologie des populations tchadiennes : les Béri du Tchad (L’Harmattan) ou Violences et évènements au Tchad (Les Impliqués) il adoptera une approche plus distanciée. À l’impétuosité de témoigner succède – ou s’ajoute – celle d’imaginer, la fiction se nourrit cependant elle aussi de la réalité, la déformant parfois pour mieux la dénoncer. Ainsi, Maoundé Naïndouba puise dans le drame de l’apartheid en Afrique du Sud pour sa pièce L’Étudiant de Soweto, tandis que Mahamat Baba Moustapha échauffe également les planches des théâtres avec ses propres œuvres (Le Commandant Chaka, Le Maître des Djinns) dont certaines évoquent sans fard la dictature. Lauréat du Grand Prix du CTI en 1979 avec Makarie aux épines, c’est à Paris qu’il trouvera une mort précoce trois ans plus tard, laissant derrière lui Le Souffle de l’harmattan, roman d’une amitié entre un Musulman et un Chrétien sur fond de guerre civile, qui se découvre encore aux éditions Sépia.

Écrire à tout prix

C’est dans la veine romanesque que s’engouffre aussi l’un de ceux à qui l’on doit aujourd’hui le rayonnement de la littérature du Tchad à l’international. C’est à Moundou que grandit Noël Nétonon Ndjékéry, né le 25 décembre 1956, en Suisse qu’il s’établit ensuite. Après Sang de kola paru chez L’Harmattan en 1999, il publia chez des éditeurs de son pays d’adoption, Infolio tout d’abord avec Chroniques tchadiennes en 2008 et Mosso en 2011, puis Hélice Hélas avec Au petit bonheur la brousse en 2019 et surtout sa grand-œuvre en 2022, Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis. Publié après dix ans d’écriture, ce formidable roman oscille entre l’utopie enchanteresse et l’abrupte réalité d’un pays soumis à deux cents ans d’exploitation humaine, un savant numéro d’équilibriste, à lire les yeux fermés, qui a été couronné par le Grand prix littéraire d’Afrique noire et par le Prix Hors concours. Du côté des femmes se ressent cette double impulsion : Mariam Mahamat Nour, qui travaille dans la politique, livre le premier volume de ses mémoires – Aljawhara : une fille du Sahel tchadien (L’Harmattan) –, alors que Marie-Christine Koundja conjugue son emploi de diplomate avec son appétence pour la fiction : avec Kam-Ndjaha, la dévoreuse, aux éditions Menaibuc, elle est devenue à l’aube du nouveau millénaire la première romancière de son pays. Nomade impénitent, par choix et par contrainte, Koulsy Lamko se montre quant à lui éclectique dans ses domaines de recherche, passant du théâtre à la création littéraire, officiant au Centre Universitaire des arts de l’Université nationale du Rwanda comme au Parlement international des écrivains au Mexique. Son œuvre est à son image, multiple et foisonnante, elle compte des pièces chez Lansman (Tout bas… si bas, Comme des flèches) et plusieurs romans chez divers éditeurs : Les Racines du yucca chez Philippe Rey, La Phalène des collines au Serpent à plumes, Aurore au Bruit des autres… Enfin, Nimrod Bena Djangrang, plus connu sous son simple prénom, est considéré comme l’un des fers de lance de cette littérature résolument émergente. Récipiendaire de certains des prix les plus prestigieux – qui honorent la mémoire d’Édouard Glissant, Apollinaire ou Ahmadou-Kourouma – il se montre prolixe et tout autant à l’aise dans l’art poétique (L’Enfant n’est pas mort chez Doucey, Petit éloge de la lumière nature chez Obsidiane, etc.) que dans des formats plus longs (La Traversée de Montparnasse et Le Temps liquide chez Gallimard, Gens de brume chez Actes Sud, etc.)

Après lui vient une génération impressionnante par son importance, et même s’il n’est pas toujours évident pour ces jeunes auteurs de se faire publier par des éditeurs au fort rayonnement, certains leur permettent néanmoins de rendre leurs textes accessibles à travers le monde et surtout d’explorer tous les styles. Nous pourrions ainsi citer l’artiste multi-casquettes Adji Moussa (DJ l’infiltré, L’Harmattan), Ahmat Zéïdane Bichara (Journal d’un réfugié politique chez Au Bord de l’eau), l’auteur jeunesse Abakar Adam Abaye (Contes d’Afrique, Planète rebelle), Djiddi Ali Sougoudi (Le Petit prince des sables de l’Ennedi, L’Harmattan), le bédéiste Adjim Danngar (Djarabane, Delcourt) ou le dramaturge Hervé Madjirébaye (Déportation rémunérée, L’Harmattan). Les auteurs nés dans les années 90 sont pareillement nombreux et prometteurs, il faudra sans nul doute compter à l’avenir avec Joslain Djéria, Youssouf Terri, Népidi Sonia Soulanoudjingar, Mona Kallimi Sougui, Baranang Ebert Don, Zina Abderahim, Abdelhamid Mahamat Saleh…

Top 10: Lecture

La littérature tchadienne

Encore timide la littérature tchadienne et souvent née de la diaspora, elle ne réussit pas à faire oublier l’histoire difficile qui a été celle du pays avant, puis après, l’indépendance obtenue vis-à-vis de la France en 1960. Néanmoins, les livres, comme l’espoir, n’en finissent pas d’éclore et de se multiplier.

Le temps liquide

L’un des plus célèbres écrivains tchadiens contemporains nous fait voyager de son pays natal à Venise, en passant par la France où il vit désormais. Nimrod, éditions Gallimard.

Au Tchad sous les étoiles

Afin de préserver la culture de son peuple, l’auteur a collecté quatorze contes issus de la tradition orale. Joseph Brahim Seid, éditions Présence Africaine.

Le Souffle de l’harmattan

L’un est musulman et fils d’éleveur, l’autre chrétien et fils de vétérinaire. Leur amitié résistera-t-elle aux tourments qui agitent leur pays ? Baba Moustapha, éditions Sépia.

Taporndal : petites chroniques du pays gor et d’ailleurs

Homme politique à la carrière entravée, l’auteur revient sur sa jeunesse et évoque ses parents. Antoine Bangui-Rombaye, éditions Sépia.

Ndo kela ou l’initiation avortée

Dans la région du Guéra où planent toutes les malédictions, quatre jeunes gens décident de s’emparer du pouvoir au sein de leur tribu. Koulsy Lamko, Lansman éditeur.

Combattant, une vie pour le Tchad

L’ancien président de la République revient sur son parcours, aussi complexe que l’est l’histoire du Tchad. Goukouni Weddeye, éditions Espaces et Signes.

Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis

Avec pour toile de fond deux siècles d’exploitation humaine, l’écrivain réussit quand même à camper une utopie. Incontournable. Nétonon Noël Ndjékéry, éditions Hélice Hélas.

Djarabane

Dessinateur de presse reconverti en bédéiste, Adjim Danngar imagine un petit garçon qui va se rêver un avenir, malgré la guerre qui s’approche. Adjim Danngar, éditions Delcourt.

Mektoub

Née en 1990 à N’Djamena, l’autrice décrit les amours de Stella et de Marc à travers toute l’Afrique, mais le conte de fée va virer au cauchemar. Népidi Sonia Soulanoudjingar, éditions L’Harmattan.

Doff : plasticien

Son nom veut dire « fou » en wolof, mais cet artiste est pourtant un génie puisqu’il transforme en œuvres d’art tous les débris qu’il récupère. Olivier Herviaux, éditions de l’Œil.

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