Guide Yemen : Population

De même qu'ils se sentent yéménites (de façon identitaire mais non nationaliste), les habitants de la région savent appartenir au peuple arabe, à une religion monothéiste forte, et à un clan pour certains avec les tribus.

La population yéménite en chiffres

Population totale : 22 230 531 (estimation 2007).

Pyramide des âges. 0-14 ans : 46,3 % (hommes 5 239 003 ; femmes 5 047 301). 15-64 ans : 51,1 % (hommes 5 781 491 ; femmes 5 585 152). plus de 65 ans : 2,6 % (hommes 281 21 ; femmes 296 463).

Âge moyen : 16,7 ans.

Accroissement démographique : 3,461 %.

Taux de natalité : 46,67 ‰.

Taux de mortalité : 8,05 ‰.

Taux de mortalité infantile : 57,88 ‰.

Espérance de vie : 62,52 ans (hommes : 60,61 ans ; femmes 64,54 ans).

Taux d'illettrisme : 49,8 % (hommes 29,5 % ; femmes 70 %).

Les Sadas

Il s'agit de la classe supérieure religieuse dans les parties chiites et zaïdites du Nord du Yémen. Les Sadas se considèrent comme les descendants du quatrième calife, Ali (le neveu du Prophète). Cette caste a fourni tous les imams chiites zaïdites de 897 à 1962. Un autre groupe de Sadas vit dans le ouadi Hadramaout et appartient à l'école de droit des chafiites. Les présidents de tribunaux, les juristes et les membres de l'administration religieuse sont traditionnellement recrutés à l'intérieur de cette classe. Aujourd'hui, dans tout le pays, ils représentent les cadres de l'administration, l'élite de l'académie et les responsables du pouvoir judiciaire. Comme les Sadas sont traditionnellement protégés par les cadres de la Nation, ils ne portent pas d'arme à feu et ne participent jamais aux conflits armés.

Les tribus

Les membres des tribus viennent immédiatement après les Sadas dans la classification de la société yéménite. C'est dans les campagnes qu'ils sont le plus nombreux et que réside leur puissance, car dans les villes ils sont trop dispersés. A la tête des cadres de chaque tribu se trouve un cheikh, qui est élu démocratiquement au sein de la caste. En théorie, car il y a bien des exceptions, le cheikh est investi de l'autorité jusqu'à sa mort et son successeur est toujours choisi dans sa propre famille. Le cheikh, qui est aussi le juge de la communauté, est l'homme de terrain le plus respecté. La production agricole et l'élevage du bétail étaient et sont encore la base économique la plus importante des tribus. Chaque communauté organise des marchés hebdomadaires afin de rassembler l'argent nécessaire à l'achat des biens qu'elle ne peut produire elle-même. Lors des conflits armés, les places de marché et les routes y conduisant étaient déclarées " zone de paix " pour permettre aux acheteurs et aux commerçants de s'y rendre et d'effectuer leurs échanges.

Les Mouzaynin

Ce sont les hommes de tribus qui possèdent leurs terres et, par extension, le nom est aussi donné aux agriculteurs propriétaires. Les menuisiers, les maçons, les mécaniciens et les artisans font partie d'une caste inférieure. Les coiffeurs, les tanneurs et les bouchers ne pouvaient, quant à eux, accéder aux hautes sphères des tribus. Les dirigeants y ont seuls la permission de porter des armes. Les mariages doivent se faire à l'intérieur des communautés. L'accord des dirigeants de la tribu est impératif pour que puisse être vendu un terrain appartenant à l'un de ses membres.

Les Arabes hadares

Le terme d'Arabes hadares désigne les citadins, par opposition aux Bédouins nomades. La classe citadine occupe souvent les métiers de commerçant et d'artisan qui sont peu respectés au Yémen : le marchand ne jouit d'aucun prestige, surtout face au propriétaire terrien. Dans certaines régions du Sud du Yémen, le commerce est un peu mieux considéré, suite à la nationalisation des terres que proclama le régime socialiste.

Les Bédouins

Ils se distinguent par leur mode de vie nomade. Ce sont les symboles de l'identité arabe autant dans l'imaginaire occidental qu'oriental. Ils véhiculent dans l'inconscient collectif les vertus de liberté et d'honneur. Peu nombreux au Yémen, leurs revenus viennent toujours du désert, notamment grâce aux touristes qui paient pour traverser leurs territoires accompagnés d'un guide bédouin. Encore très indépendants, ils n'hésitent pas à faire pression sur les compagnies pétrolières en dynamitant certaines de leurs installations et à enlever des touristes pour convaincre le gouvernement... Libre comme l'air est celui qui connaît le désert ! Aujourd'hui, tout cela est fini depuis bientôt dix ans et les Bédouins qui se sont mis d'accord avec tout le monde font le bonheur des touristes et des amoureux du désert.

Les Juifs

Les Juifs du Yémen étaient traditionnellement des artisans (les autres métiers leur étaient interdits) et ils vivaient sous la protection d'une tribu. Ils s'illustraient notamment dans la menuiserie, la peinture sur vitraux, la joaillerie, etc. Autrefois, les Juifs ne portaient pas de djambya (ou djambeya). Aujourd'hui, ceux qui habitent dans le Nord et vendent des bijoux d'argent à Saada portent au côté cette arme traditionnelle.

Les Akhdams

Les Akhdams sont la plus basse classe du Yémen. D'origine abyssine, ce sont les éboueurs, les ouvriers agricoles et les mendiants. Ils ne portent pas la djambya. Ce quatrième groupe comprend ainsi tous ceux qui, selon le droit des communautés, n'ont pas le droit porter une arme : les Juifs, les travailleurs de métiers bas et méprisés. Les gens de descendance impure sont tous sous la protection des tribus et les Yéménites armés n'ont pas le droit de les attaquer. Les Akhdams sont les descendants des Abyssins éthiopiens qui envahirent le Yémen en 529 avant notre ère. Avec un taux de natalité supérieur à la moyenne, leur nombre n'a cessé d'augmenter. Moins durement marginalisés que du temps des imams, ils vivent dans des bidonvilles à la périphérie des grandes cités. Nombre d'entre eux travaillent au ramassage des ordures et sont considérés comme " intouchables ". Cette division de la société en diverses communautés est réelle, mais elle se modifie peu à peu. Ainsi, la distinction entre castes se fait aujourd'hui à travers l'habillement, la couleur de la peau ou les manières d'être, et non plus par le port des armes. En effet, le gouvernement a interdit le port d'arme dans les villes pour tous les civils (à l'exception du couteau). D'autre part, la réalité même de ces communautés a perdu de son importance durant les dernières décennies.

L’honneur yéménite

" L'homme de tribu (qabîlî) est avant tout un guerrier. S'il porte très souvent une arme à feu avec lui, il ne se sépare jamais de sa janbiyya : ce poignard recourbé porté à la taille est notamment le symbole de sa dignité tribale qui est essentiellement liée à sa capacité à défendre le nom de la tribu ainsi que tout ce qui se trouve sous sa protection, c'est-à-dire la terre ou les biens matériels, mais aussi les individus considérés comme " faibles " (/du'afâ') par la société tribale, tels que les femmes et les enfants.

Le territoire partagé, défini par des frontières connues et reconnues par toutes les tribus, est d'autant plus farouchement défendu qu'il est considéré comme un des fondements de leur identité. L'attaquer signifie porter atteinte à l'existence même de la tribu. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur le sens de ces attaques, car les limites sont considérées comme fixes et permanentes. Comme le note Paul Dresch : " Il n'y a pas de rhétorique de conquête et de déplacement. " L'attaque d'un territoire a le plus souvent pour objet l'exécution d'une vengeance ou une démonstration de force. Certaines terres, comme les pâturages dont la propriété peut être partagée entre plusieurs tribus, restent des objets de litiges fréquents.

Le nom de la tribu (qui est celui de l'ancêtre commun) renvoie à l'honneur (sharaf ou 'ir/d) que l'individu doit défendre et exalter. De ce fait, " le vocabulaire de l'honneur partagé à travers une ascendance mâle partagée est le fondement principal de la responsabilité dans la société, la carte, si l'on veut, où sont pris les repères de toutes sortes ". Cela signifie qu'il existe, aux yeux du qabîlî, un honneur commun à tous les membres du clan et de la tribu. Néanmoins, la défense de l'honneur, pour l'individu, n'inclut pas celui de la famille du côté maternel.

La maison est considérée comme un espace protégé qui doit être préservé de toute offense. Ainsi, l'hôte de passage est sous l'entière protection de celui qui offre l'hospitalité ; s'il est victime d'un vol, la responsabilité du maître de maison est engagée. Celui-ci doit retrouver le voleur ou le rembourser. A l'inverse, la dispute de deux invités est considérée comme une insulte pour leur hôte. Plus largement encore, la coutume indique qu'un lien de protection mutuelle existe entre les convives d'un repas durant plusieurs jours. " Manger de la viande et du pain (ensemble) donne huit jours d'obligation, du raisin, du lait et des dattes quatre jours, et boire du café un jour seulement. "

On retrouve ce modèle au niveau du clan et de la tribu dont un des rôles est de protéger les frontières, les terres collectives, les routes et les marchés. Il en va de même pour un certain nombre de personnes jouissant d'un statut particulier, celui de protégé (jâr). Les juifs, nombreux jusqu'en 1948, ainsi que les muzayyin, qui s'occupent de tâches jugées indignes par les qabîlî (bouchers, barbiers, mais aussi, jusqu'à peu, commerçants) étaient sous la protection directe d'un des membres de la tribu. Enfin, voyageurs, hôtes de passage ou réfugiés bénéficient également de ce statut. " Qu'il s'agisse d'un désaccord à propos de terrains (propriété individuelle ou frontières), de biens (objets dérobés, bêtes volées ou razzias) ou de personnes (atteinte à l'intégrité physique d'un membre du clan ou d'un protégé), le collectif ne se distingue essentiellement de l'individuel que par l'importance des éléments qu'il met en jeu et l'intensité et la diversité des sentiments qu'il soulève dans le groupe. "

A côté du territoire et de la généalogie, la tribu se définit principalement par la protection qu'elle offre. En est membre celui à qui l'on reconnaît le droit d'offrir sa protection. Ce droit peut être nié à l'un d'eux reconnu coupable d'un crime grave. Les différentes personnes protégées par l'individu ou le groupe bénéficient du statut de hijra. Ce sont principalement des sayyid. Quant au terme de mu'awwarât, il s'applique aux femmes et aux enfants. Toute offense à leur encontre rejaillit sur le clan ou la tribu. Le contraire de l'honneur, ce qui l'entache, est qualifié de 'ayb, un mot que l'on peut traduire approximativement en français par " honte, action honteuse ". Le 'ayb peut toucher un homme ou la tribu entière de deux manières : " Un homme de tribu peut commettre un 'ayb en agissant d'une façon avilissante pour lui-même, par exemple en tuant une femme ou une personne d'une position sociale inférieure à la sienne, ou bien au contraire, il peut y avoir un 'ayb qui lui est infligé. " Dans le premier cas, la honte affecte essentiellement l'individu qui a commis un tel acte. En revanche, dans le second, elle peut très rapidement s'étendre de l'individu qui l'a subie au clan dans son entier ou même à sa tribu.

La solidarité joue alors pleinement au niveau du clan. Un étranger à la tribu a-t-il attenté à une femme ou bien tué un marchand de passage ? La situation débouchera rapidement sur un conflit, car les proches de celui qui a été outragé exigeront la vengeance.

Le mot hijra désigne un espace inviolable, investi le plus souvent d'une sacralité religieuse. Dans les langues sud-arabiques anciennes, le mot hjr désigne un lieu abritant un autel dédié aux dieux d'un groupe tribal. Dans la tradition zaïdite, la hijra reste un lieu protégé, habité par certains hommes de religion, notamment des sayyid, descendants du Prophète par son gendre Ali, qui se consacrent à l'étude et aux sciences religieuses. De nos jours, les tribus continuent à définir des espaces de neutralité dans lesquels la concertation est possible, même de façon temporaire. Ainsi, lorsque deux tribus se rencontrent, tous les membres présents forment un cercle ; à partir du moment où celui-ci est constitué, toute violence est formellement interdite le temps de la réunion.

D'une manière plus générale, le terme de hijra s'applique, selon la tradition, à des lieux fixes dont la sécurité est assurée par les tribus. Ces espaces pacifiés permettent de pratiquer les échanges et constituent un espace neutre où les arbitrages peuvent se dérouler. Les marchés bénéficient notamment de ce statut. Un document (Qâ'idat al-sûq), signé par les cheikhs d'une ou plusieurs tribus, précise quelles en sont les limites territoriales, les sanctions encourues en cas d'infraction à l'accord, ainsi que la période durant laquelle le marché jouit du statut de hijra ou tahjîr.

En temps de paix, le marché est ouvert à tous. En général, le tahjîr est appliqué la veille, le jour et le lendemain de sa tenue, ce qui permet à ceux qui viennent de loin de faire leur marché en toute sécurité. Cela se justifiait, avant la révolution, par le fait que les marchands avaient un statut inférieur. Ils étaient considérés comme faibles (/du'afâ') et devaient donc être protégés. La neutralité de ces lieux permet en outre d'assurer une continuité de la vie économique en dépit des conflits tribaux. Ce statut peut se révéler fragile : si l'une des tribus se retire de l'accord de garantie, elle provoque une déstabilisation qui peut faire baisser la fréquentation de ce marché et peut même entraîner sa fermeture. Sur la base des mêmes règles, les tribus concernées en créent alors un nouveau. La plupart des villes du nord-est du Yémen sont des hijra, en vertu du statut accordé au marché autour duquel elles se sont développées. Sanaa, par exemple, était hijra des sept tribus qui l'entouraient. Khamir, qui se trouve sur la route de Sanaa à Sa'da est encore aujourd'hui hijra de la confédération de /Hâshid.

Attaché à un lieu, le tahjîr peut également bénéficier à un individu : aux sayyid, aux cadis (juges qui officient selon la loi islamique) et aux cheikhs, figures majeures de la tribu. Le cheikh al-A/hmar est, par exemple, hijra de la confédération des /Hâshid. Ceux qui appartiennent à ces catégories sociales sont placés hors des conflits tribaux et dispensés de toutes les amendes tribales. Toute attaque à leur encontre est sévèrement punie par la coutume, parce qu'elle est considérée comme une atteinte grave par la tribu qui les protège.

Les relations sociales intra-tribales et inter-tribales sont marquées par cette tension permanente entre l'honneur maintenu et l'honneur bafoué. De ce fait, tous les rapports de la tribu avec ce qui lui est étranger ont une unique toile de fond : la possible violence qui viendra réparer les torts dont l'homme ou la tribu estiment avoir été les victimes. Dans ce système, le fait de briser l'honneur est un acte de violence auquel on est en droit de répondre. "

(Chroniques yéménites, Cahiers du CEFAS - Le règlement des conflits tribaux au Yémen.)

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