Guide Sudan : Population et langues
Bilad As-Sudan est le "Pays des Noirs" en langue arabe. L'expression, utilisée par les Arabes, faisait référence aux terres subsahariennes. Bilad as-Sudan porte en soi la dualité culturelle soudanaise. Les Arabes, leur langue et leur culture ont en effet considérablement influencé le pays, à différents degrés toutefois selon les régions. Dans sa version soudanaise, la langue arabe est parlée et comprise dans toute la partie Nord. Certains peuples ne la pratiquent toutefois qu'en seconde langue. D'autres utilisent leur propre dialecte et mots arabes. La langue du Coran est pratiquée en partie dans le Sud (on parle par exemple de "l'arabe de Juba"), mais les locaux qui le peuvent lui préféreront l'anglais quand il s'agira de parler une autre langue que leur langue maternelle, avec des étrangers par exemple. En tout, il y aurait plus d'une centaine de "parlers" au Soudan.
Nombreux sont les Soudanais du Nord, surtout à Khartoum et en Nubie, qui se diront bien sûr "arabes". Ethniquement parlant, la chose n'est pas si évidente, bien que des mélanges se soient opérés à travers les siècles. Néanmoins, la diversité des peuples locaux montre en quoi le Soudan constitue une remarquable mosaïque ethnique. La définition ethnique se faisant par tribus (on en compte officiellement 597 au Soudan !) est également déroutante. Si l'on ajoute que des tribus Felata (ou Fulani), venant du bassin du Niger, nomadisent régulièrement jusqu'au centre du Soudan, on comprend la difficulté de s'y retrouver parfois !
Les Nubiens. (Voir encadé dans le chapitre "La province du Nord".) On les considère comme les premiers descendants des Koushites de l'Antiquité. Ce sont des agriculteurs pour la plupart, plus rarement des commerçants, qui habitent de manière très dispersée le long du Nil, entre les régions de Kosti et Wadi Halfa. Ils débordent bien sûr sur l'Egypte, où le lac Nasser les a, pour beaucoup, chassés de leur terre ancestrale. Certains sont même désormais installés dans l'est du Soudan, près de Kassala. Des tribus qui se revendiquent "arabes" avant tout sont, pour certaines, initialement nubiennes. C'est le cas de la puissante tribu des Ja'aliyine, dans la province du Nil. Les Nubiens de "pure souche" ne sont probablement pas plus de quelques petites centaines de milliers en tout. Ils parlent le nubien (ou nobiin) avec des variantes dialectales. Cette langue n'a initialement rien à voir avec l'arabe (sa classification est d'ailleurs incertaine). Le long du Nil, ces tribus ont pour voisins directs les tribus arabes du désert ou du fleuve avec lesquelles elles furent régulièrement en conflit.
Les Baggara et les tribus dites "arabes". Ce groupe est formé d'un ensemble plus ou moins cohérent de tribus, nomades pour la plupart, qui se revendiquent d'une ascendance arabe. Les Baggara sont les "cow-boys" du Soudan ! Al-Bagara signifie effectivement "la vache". Ce sont historiquement des éleveurs nomadisant entre le bassin du lac Tchad et celui du Nil. Ils étaient également très implantés dans le commerce caravanier de la région. Les Baggara viendraient de la péninsule Arabique, du clan bédouin des Jouhayna, et se seraient établis au Soudan vers le XVIe siècle. Parmi les tribus Baggara, on trouve pêle-mêle les Misseriya, les Rizeigat (Nubie, Darfour, Kordofan), les Habbaniya, les Taysha (Darfour), ou encore les Kababish et les Hawazma (Kordofan). Les tribus sédentaires sont les Ja'aliyine, les Rabatab ou encore les Shayqiya en Nubie. Les Rashaida sont une exception dans l'est du pays. Ils sont venus de l'Arabie au XIXe siècle et parlent encore un arabe de la péninsule.
Toutes ces tribus arabes forment la plus grosse population du nord du Soudan, riche de plus de dix millions de membres.
Les Béja. (Voir encadré dans le chapitre "La mer Rouge".) Voisins orientaux historiques des Nubiens depuis des siècles, ils peuplent majoritairement la plaine et les montagnes côtières de la mer Rouge. Eux-mêmes forment plusieurs tribus. Ils sont voisins des Rashaida dans l'est, près de Kassala et Gedaref. Au Soudan, ils seraient moins de deux millions. Les Béja parlent le bedawi (ou langue béja), peut-être apparenté au nubien par les anciens dialectes koushites.
Les Dinka. Ethnie dominante au Sud-Soudan, les Dinka sont principalement présents dans la partie nord de la région sudiste, du Bahr al-Ghazal au haut Nil, en passant par Jonglei. Ils sont initialement éleveurs nomades, bien que l'agriculture soit aussi pratiquée. L'élite politique et économique du Sud est majoritairement issue de ce peuple, qui suscite des jalousies et des frustrations chez ses voisins. Détail amusant, ils sont d'ailleurs connus pour être très grands ! Animistes et chrétiens, ils seraient plus de deux millions dans le Sud, dans le Nord et à l'étranger, dans des camps ou ailleurs. Ils ont en effet particulièrement souffert de la guerre civile qui les a mis au premier plan. Les Dinka parlent la langue dinka, relativement proche de la langue des Nuer.
Les Nuer. Deuxième population du Sud (un gros million de personnes), ils sont aussi présents en Ethiopie. Les Nuer sont les voisins et les rivaux directs des Dinka, avec lesquels les relations n'ont pas toujours été faciles, d'abord en ce qui concernait le partage des terres, ensuite quant à la réaction vis-à-vis de l'administration coloniale ou du pouvoir central. Les Nuer ont toujours été plus rétifs à la domination étrangère. Ils sont aujourd'hui chrétiens et animistes. Le Nuer le plus influent au sein du SPLM, dominé par les Dinka, est le vice-président du gouvernement sudiste Riek Machar.
Les Shilluk. Population de la région du Haut-Nil, ils sont établis dans les monts Dolieb, autour de Malakal et de la rivière Sobat, l'un des gros affluents du Nil Blanc. Ils s'appellent eux-mêmes les Chollo. Ils sont majoritairement agriculteurs sédentaires (mais ce sont aussi de bons pêcheurs) et chrétiens. Les Shilluk ne seraient pas 400 000 en tout et parlent la langue shilluk.
Les Equatoriens. Rien à voir avec leurs homonymes d'Amérique du Sud ! Les Equatoriens soudanais sont les habitants de l'Equatoria, la région la plus méridionale du pays, divisée en trois provinces. Il s'agit d'une confédération de tribus, qui débordent d'ailleurs largement les frontières du Soudan vers la région des Grands Lacs. Leur nom leur a bien sûr été attribué par les étrangers, en l'occurrence les Anglais, pour évoquer ces peuples habitant à cheval sur l'équateur, au centre de l'Afrique. Parmi eux, les Zandé, proches du Congo et de la Centrafrique, sont l'une des tribus principales. On trouve aussi les Bari, peuplade originelle de la zone de Juba. Les Equatoriens sont les peuples les moins arabisés et islamisés du pays. Ils seraient plusieurs millions, mais leur manque de cohésion les empêche d'agir en tant que groupe unifié. Chaque tribu possède en effet sa propre langue.
Les Nuba. (Voir encadré dans le chapitre "La Gezira et le Kordofan".) Peuple composite, formé de multiples tribus d'origines variées qui se sont réfugiées dans les monts Nuba pour se protéger des potentats de la plaine. Ils sont, pour une petite partie, encore animistes, mais aujourd'hui majoritairement chrétiens et musulmans. Ils possèdent une culture relativement homogène malgré le vernis religieux. On pense qu'ils sont plus d'un million dans les monts Nuba et dans la région de Khartoum. Les tribus Nuba parlent des dialectes relativement similaires et la plupart comprennent l'arabe.
Les Four. Population dominante du Darfour, terre dont le nom signifie "Terre des Four", les Four sont essentiellement des agriculteurs. Ils sont opposés historiquement aux Baggara, éleveurs nomades, pour le partage des ressources et des terres. Les Four seraient près d'un million, mais ils ont beaucoup souffert, comme les Zaghawa et les Masalit, des massacres perpétrés dans la région, en 2003 et 2004. Chaque peuple darfouri parle son propre dialecte. Il existe toutefois un semblant de langue "arabe du Darfour".
Il est surprenant de constater l'importance du sentiment africain dans l'ensemble de la population soudanaise ! En fait, l'identité africaine du pays n'est nullement contestée. C'est plutôt "l'arabité" du Soudan qui pose problème. Celle-ci est décriée, notamment dans le Sud ou dans ses franges dans le Nord, ainsi qu'au Darfour. La question ne se réduit pourtant pas à une vision opposant un camp "africaniste" à un camp "arabe". Bien souvent, les contestations internes au Soudan sont d'ordre socioéconomique. Elles concernent la domination d'un centre aux dépens de la périphérie. C'est ensuite seulement que les critères ethniques peuvent entrer en compte.
Au Darfour, la langue arabe et l'islam sont des acquis reconnus et partagés par tous. La distinction entre tribus arabes et tribus africaines est totalement fabriquée par les discours et était absente du territoire avant l'arrivée des violences de masse. La différence était faite principalement entre les nomades et les sédentaires. Et il se trouve que les premiers étaient des Baggara, vus comme étant des descendants d'Arabes de la péninsule, et les seconds des Four, des Masalit et des Zaghawa, venant du coeur de l'Afrique.
Dans l'Est, les Béja (non-arabes ethniquement, ils le sont en partie culturellement) et les Rashaida (peut-être les plus "arabes" de tous les Soudanais !) se sont unis au sein du Front de l'Est pour contester la suprématie de Khartoum dans leurs régions (voir encadré dans le chapitre "Kassala et la frontière éthiopienne").
Dans les monts Nuba et le Sud, c'est l'islamisation à marche forcée par le pouvoir central qui a été historiquement contestée. L'imposition également de la langue arabe dans une grande partie du Sud durant de nombreuses années a été très mal vécue. Le Sud-Soudan n'est certainement pas arabe, d'un point de vue tant culturel qu'ethnique. La langue du Coran est pourtant parlée et comprise par certains jusqu'à Juba. Beaucoup attribuent à la marginalisation de la région par Khartoum la responsabilité de la division Nord-Sud. D'autres évoquent la persistance du sentiment historique qu'avaient les Arabes du Nord vis-à-vis des populations africaines du Sud, réserves à esclaves.
Le Soudan n'est pas tout à fait un pays arabe. Il est un pays africain. Mais si le Sud fait sécession, le discours arabiste a de bonnes chances de trouver une nouvelle jeunesse dans le Nord.
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