Guide Eritrea : Population et langues
La population de l'Erythrée est à 81 % rurale, avec environ 35 % de nomades, et est estimée à 5,9 millions (2011). C'est une population composite, car l'histoire de l'Erythrée est riche de nombreuses influences successives : plusieurs cultures, langues et religions y sont représentées. Elle comprend neuf groupes ethniques différents, chacun avec sa propre langue et ses propres coutumes, sans compter une communauté italienne vivant encore aujourd'hui à Asmara. La diversité culturelle est ainsi une caractéristique de la société érythréenne et fait partie de l'identité nationale, ce qui est entériné par une exceptionnelle politique de défense des langues et des cultures d'origine.
La colonisation, les mouvements des populations dus à la guerre et aux famines, l'alphabétisation, tout cela a contribué à un brassage des langues et, aujourd'hui, il n'existe quasiment plus de régions monolingues en Erythrée, excepté dans quelques régions reculées de la région Danakil ou dans l'île de Dahlak Kebir. La situation générale est celle du bilinguisme, voire du plurilinguisme.
On peut distinguer les différentes langues utilisées en Erythrée selon leur statut : langues officielles ou langues nationales, langues de communication (véhiculaires) ou langues maternelles (vernaculaires) ; ou par leurs origines (chamito-sémitiques ou nilo-sahariennes).
Les Tigriniens. Ils habitent sur les hauts plateaux du centre, la région la plus densément peuplée du pays, et représentent la moitié de la population érythréenne. Ils sont en majorité chrétiens orthodoxes avec une petite minorité de musulmans appelés Jiberti. Les femmes tigriniennes se reconnaissent traditionnellement à leur coiffure divisée en trois grosses tresses sur le sommet de la tête. Leur langue d'origine est le tigrinya.
Les Tigréens. Les Tigréens se répartissent en deux grands groupes, selon les deux régions du Tigré Mansa (autour de Keren et du plateau Mansa) et du Tigré des Beni Amer au nord. Ils constituent 30 % de la population et sont musulmans sunnites pour la plupart. Leur langue d'origine est le tigré.
Les Saho. Ils vivent au sud de la ligne Asmara-Massawa. Formant 5 % de la population, ils sont pour la plupart de confession musulmane, pratiquent l'élevage de bovins, mais sont aussi quelquefois cultivateurs. Dans les montagnes, certains sont chrétiens orthodoxes. Leur langue d'origine est le saho.
Les Afar. Appelés aussi parfois Danakil, ils vivent principalement sur les côtes de la mer Rouge et constituent 5 % de la population. La plupart d'entre eux sont nomades, mais on compte parmi eux de nombreux pêcheurs. Ils parlent l'arabe.
Les Hedareb. A la frontière soudanaise, les Hedareb sont des Beni-Amer faisant partie du groupe des Beja (population que l'on retrouve aussi au Soudan). Ils représentent 2,5 % de la population, sont éleveurs, tantôt sédentaires, tantôt nomades, parfois cultivateurs (de céréales), chrétiens ou musulmans. Ils parlent le beja et le tigré.
Les Bilen. Les Bilen habitent la région de Keren. Ils forment environ 2 % de la population et sont musulmans ou chrétiens. Les femmes sont reconnaissables à leurs tenues très colorées et à l'anneau, d'or, d'argent ou de cuivre, qu'elles portent dans le nez. Leur langue d'origine est le bilen.
Les Kunama. Représentant 2 % de la population et habitant au sud-ouest du pays, dans la région de Barentu, ils sont sédentaires et agriculteurs ; les terres sont propriété collective. Dans cette société, la femme détient un pouvoir très important et est le chef de famille. Les Kunama sont aussi connus pour leurs danses commémorant différents évènements et victoires historiques. Leur langue d'origine est le kunama.
Les Nara (ou Baria). Les Nara constituent 1,5 % de la population et sont sédentaires. Etablis au nord de Barentu et à proximité de la frontière soudanaise, ils sont majoritairement agriculteurs. Convertis à l'Islam, leur langue d'origine est le nara.
Les Rashaïda. Originaires d'Arabie Saoudite, ils forment 0,5 % de la population et vivent le long de la mer Rouge. Majoritairement musulmans, ils parlent l'arabe et ne se marient qu'entre eux. Beaucoup d'entre eux sont éleveurs de chameaux et commerçants.
La première évocation du peuple afar apparaît dans les écrits du géographe arabe Ibn Saïd, au XIIIe siècle. Leur territoire, nommé Adal par les Ethiopiens et Danakil par les Arabes, était déjà très structuré politiquement au sein de sultanats, héritage d'une islamisation précoce dès le VIIIe siècle.
L'aire de vie des tribus afar s'inscrit dans un vaste triangle ayant pour frontière occidentale les contreforts des hauts plateaux éthiopiens, la mer Rouge à l'est, et la chaîne du Ahmar au sud. Cette population très homogène de plus d'un million d'individus se trouve dispersée entre le Sud de l'Erythrée, Djibouti et l'Ethiopie, qui en héberge l'immense majorité sur un territoire désertique qui compte les régions parmi les plus chaudes de la planète. Pendant longtemps, cette zone considérée comme hostile et dangereuse a tenu les voyageurs à l'écart et continue à inspirer une certaine crainte parmi les Ethiopiens des hautes terres. Les Afar, fiers de leur indépendance inspirée par un mode de vie semi-nomade, ignorent les frontières et se déplacent au gré des pâturages nécessaires à la pérennité des troupeaux qui sont leur unique richesse.
Ils se répartissent entre les Adoimara (" les blancs ") et les Asaïmara (" les rouges "). Ceux-ci sont regroupés au sein de sultanats et divisés en clans, ou kedo, regroupant plusieurs lignées placées sous l'autorité d'un conseil d'anciens qui règle les litiges au cours du mablo, l'assemblée de conciliation coutumière.
Bien que la plupart soient musulmans, certains ont gardé du passé des liens forts (autrefois via les caravanes notamment) avec les chrétiens des plateaux abyssins, ceux de l'ancien royaume d'Axoum, et, aujourd'hui encore, on trouve en Erythrée des Afars chrétiens. En même temps, les Afars ont conservé des croyances ancestrales où interviennent les esprits, ou djins, la sorcellerie et des pratiques païennes comme les sacrifices d'animaux.
Polygames, les hommes peuvent avoir jusqu'à quatre épouses, auxquelles ils s'allient au cours d'un des trois types d'union suivants :
Absuma : il est de tradition que chaque garçon prenne pour première épouse la fille de sa tante paternelle, soit sa cousine. Pour cette union, la dot est constituée par des dons offerts par l'ensemble de la communauté.
Faeri : la possibilité pour un homme de " racheter ", contre douze vaches et l'agrément de son mari virtuel, une fille promise à la naissance.
Kofar : c'est l'enlèvement pur et simple de la fille convoitée.
Les garçons subissent la circoncision à l'âge de quinze ans, au cours d'un rituel où ils doivent prouver leur bravoure. Les filles, de leur côté, endurent la redoutable et douloureuse double pratique de l'excision et de l'infibulation, censées garantir leur virginité. La suture ainsi pratiquée sera retirée par l'homme à la consommation de l'union...
La vie sociale du clan est marquée par des codes et des pratiques immuables. Ainsi, l'homme décide de l'établissement ou du déplacement du campement, dictés par les impératifs de pâturages et la proximité des points d'eau. Il garde les dromadaires et les boeufs, tue les animaux et détient le pouvoir au sein du groupe. La femme s'occupe des chèvres et des moutons, qui lui appartiennent parfois en propre, et s'occupe des enfants. Elle monte aussi la hutte, une structure de bois légère recouverte de peaux et appelée arri, et assure les corvées de bois et d'eau.
Les hommes se déplacent le bâton en travers des épaules, souvent remplacé par la Kalachnikov, portent le pagne et des sandales de cuir, et se ceignent la taille avec un impressionnant poignard à lame recourbée, le gilé. La coupe de cheveux en boule volumineuse ou en fines mèches ondulées ointes de beurre encadre un visage à la peau sombre et burinée, entaillé de scarifications. A leur cou pend, s'ils sont musulmans, l'amulette protectrice renfermant des versets du Coran. Les femmes, qui vont poitrine nue jusqu'au mariage, portent d'imposantes parures de perles au cou ou au front et arborent elles aussi des scarifications. Le limage en pointe des incisives et des canines supérieures est un trait esthétique commun à tous, couramment pratiqué. Pour un peuple sans écriture, la tradition orale occupe une place centrale dans la transmission du savoir et de la culture. Les joutes oratoires sont fréquentes ; contes, poésies et dictons sont extrêmement nombreux et variés, et constituent un trait culturel typique. Parmi la littérature orale rituelle, le horra est un chant de guerre accompagné de danses, réservé aux hommes. On y exalte l'univers du guerrier, le culte du héros, la bravoure.
L'alimentation de base reste le lait de chamelle et de chèvre, et la dourha, une galette de sorgho, la viande n'étant consommée qu'exceptionnellement à l'occasion de festivités. Pour compléter les maigres revenus tirés directement du bétail, les Afars trouvent des ressources complémentaires dans la production de charbon de bois et surtout dans l'exploitation du sel arraché aux plaines torrides et vendu au marché. Dans ce corps à corps avec un environnement hostile, les Afar sont en lutte perpétuelle pour leur survie, et les convoitises que suscitent les meilleurs pâturages provoquent d'incessants conflits avec leurs voisins. Mais la menace la plus redoutable qui pèse sur ces pasteurs nomades reste la sècheresse. Celle, particulièrement terrible, de 1984 aurait, selon certaines estimations, décimé plus de la moitié de ce peuple du vent.
Les langues officielles. Les langues officielles sont le tigrinya, l'arabe et l'anglais. Ce sont aussi des langues de communication et, pour l'anglais comme pour l'arabe, des langues de communication internationales. L'arabe et le tigrinya font également partie des langues nationales et vernaculaires, mais pas l'anglais, et ces deux langues sont par ailleurs en lien avec les deux grandes religions pratiquées : la religion musulmane pour l'arabe et la religion chrétienne (orthodoxe) pour le tigrinya. En tant que langues officielles, elles ont un usage écrit qui impose une certaine standardisation qui éloigne parfois la forme écrite de la forme parlée. L'arabe est davantage parlé sur la côte, tandis que le tigrinya est davantage parlé dans la région d'Asmara et de Mendefera.
Les langues nationales. Elles sont au nombre de neuf : tigrinya (langue parlée par 50 % de la population), tigré (30 %), arabe, afar (5 %), saho (5 %), beja (2,5 %), bilen (2 %), kunama (2 %) et nara (1,5 %).
Le dahalik, langue vernaculaire des îles Dahlak découverte en 1996, n'a pas le statut de langue nationale.
Ces langues sont classées dans deux grands groupes linguistiques en fonction de leur origine préhistorique liée au peuplement de la Corne de l'Afrique. A l'intérieur de ces deux groupes d'origine distincts, elles se sont diversifiées ensuite sur ce fond commun, en fonction des diverses migrations, invasions, des relations commerciales et implantation des religions au cours de l'histoire. Dans le groupe des langues chamito-sémitiques, le dahalik, le tigré, le tigrinya et l'arabe font partie du sous-groupe des langues sémitiques, tandis que l'afar, le beja, le bilen et le saho appartiennent au sous-groupe couchitique. Quant au kunama et au nara, ils appartiennent au groupe nilo-saharien.
C'est au XVIIIe siècle que les linguistes, sous l'influence de la Bible, dénomment le groupe linguistique des langues " chamito-sémitiques ". En effet, d'après l'Ancien Testament, les Hébreux, les Araméens, les anciens Egyptiens et les Arabes descendaient tous de Sem et de Cham, les fils de Noé. Koush était un fils de Cham dont les descendants auraient habité le sud de l'Egypte ; il aurait donné son nom à l'Ethiopie (pays de Koush) d'où, par extension, le nom de " couchitiques " pour les langues originaires de ce pays et qui forment un sous-groupe des langues chamito-sémitiques.
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